La bisexualité n’est ni une phase ni une lubie. C’est un pavé dans la norme.
Alors que 10 % des moins de 30 ans se disent bisexuel les, la société continue de raisonner en termes binaires : on est soit homo, soit hétéro. Entre stéréotypes tenaces, effacement dans les médias et discrimination, y compris au sein des milieux LGBTQ+, les personnes bi restent marginalisées – alors qu’elles sont pourtant nombreuses, engagées, et que la bisexualité a toujours existé.
A travers un essai qui mêle analyses sociologiques, témoignages et expériences intimes, Camille Teste interroge l’invisibilisation des personnes bi et révèle les violences silencieuses qu’elles subissent. Démontant les clichés qui collent à la bisexualité, elle s'attache à lui redonner toute sa place : ni un entre-deux ni un flou, mais une identité pleine et entière, qui dérange parce qu’elle trouble les lignes binaires, questionne la norme et fragilise le système.
Pourquoi avoir besoin de consacrer un livre entier à la bisexualité ? Qui est concerné·e par ce sujet ? A qui ce livre est-il destiné ?
C’est un livre que j’ai écrit parce que je me suis rendu compte que de plus en plus de gens se disaient bisexuels. Les moins de 30 ans sont au moins 15 %. Et pourtant c’est une orientation sexuelle qui est très invisible ou représentée n’importe comment – dans la fiction par exemple –, ce qui a des conséquences gravissimes pour les Bi. Par exemple, iels sont plus en dépression, se suicident plus, se font plus harceler et sont plus pauvres que les autres. Et quand je dis « les autres », je ne parle pas seulement des hétéro, je parle aussi bien souvent des gays et des lesbiennes. Les femmes bi sont un public particulièrement à risque, elles sont beaucoup plus victimes de violences conjugales et sexuelles et meurent beaucoup plus tôt que les femmes hétéros et lesbiennes. De toute évidence, jusqu’à présent tout le monde s’en fout : ce livre existe pour que ça change.
Comment expliqueriez-vous la bisexualité à quelqu'un qui n'en a jamais entendu parler ?
Pendant longtemps, on a dit qu’être bi voulait dire être attiré·e par les hommes et les femmes, mais ce serait laisser de côté toutes les personnes qui ne se reconnaissent pas dans la binarité de genre. Aujourd’hui, être bi c’est être attiré·e par plus d’un genre. Ça ne veut pas forcément dire avoir couché ou avoir été amoureu·se de plus d’un genre, ça veut dire qu’on a déjà ressenti des formes de désir et d’attirance pour plusieurs genres. Si bien que la bisexualité peut prendre différentes formes et changer au cours du temps : en effet, les attirances amoureuses et sexuelles sont beaucoup plus fluides que ce que l’on pense.
Votre enquête montre que les personnes bi sont particulièrement vulnérables aux violences et aux discriminations. Qu’est-ce qui vous a le plus surprise en découvrant ces données ?
Ce qui m’a le plus étonnée, c’est que quel que soit le critère qu’on regarde, de l’anxiété au harcèlement scolaire en passant par le fait de demander l’aide alimentaire ou d’avoir un cancer, les bi sont toujours parmi les plus représenté·es. On est face à une urgence de santé publique. Un autre élément que je trouve dingue est que les demandeurs d’asile bisexuels ont beaucoup moins de chance d’obtenir l’asile que leurs homologues homosexuels, car la justice migratoire, comme le reste de la société, a des préjugés sur la bisexualité. Toute ma vie, on m’a dit que les bi étaient des queer privilégié·es puisqu’on aurait supposément un pied dans l’hétérosexualité. Ces données montrent l’exact opposé.
Quels clichés sur les bi vous énervent le plus ?
On serait des gens instables psychologiquement, ce qui est très mal vu dans une société psychophobe. Dans les films, on est souvent représenté·es comme des pervers·es, des manipulateurices, ou des psychopathes, comme Sharon Stone dans Basic instinct ou Frank Underwood dans House of cards par exemple. Le cliché le plus violent, je trouve, c’est celui selon lequel on serait des nids à IST. Ça vient notamment des années sida où on pensait que les hommes bisexuels transmettaient le VIH aux hétéro. Les médias ont raconté des horreurs à ce sujet, ça a fait beaucoup de mal. Le cliché qui m’énerve le plus c’est l’idée que la bisexualité serait une mode ou une façon d’attirer l’attention. Il y a des traces de bisexualité depuis l’Antiquité : si c’est une mode, c’est donc une mode très très pérenne.
Si vous pouviez adresser un message aux jeunes qui découvrent leur bisexualité aujourd’hui, quel serait-il ?
Vous n’êtes pas moins queer que les autres. Vous méritez d’être protégé·es comme les autres, d’être soutenu·es comme les autres, vous méritez de vous sentir fie·res et en sécurité. Ne minimisez pas vos souffrances, elles sont réelles et méritent d’être entendues.
Vous insistez aussi sur les manières dont les personnes bi résistent et inventent des espaces de fierté. Pouvez-vous partager un exemple qui vous a particulièrement inspirée ?
Depuis quelques années, des collectifs Bipan émergent un peu partout en France et en Europe. Ils organisent des cercles de parole et plein d’autres activités cool pour réunir des bi dans la même pièce. Et croyez-moi, ça sauve littéralement la vie des personnes bisexuelles, qui sont nombreuses à être isolé·es et à ne pas connaître d’autres bi, ce qui nous rend particulièrement vulnérables.
Que veut dire la citation « Tant que les bi n'auront pas parlé, ça ne sera pas terminé ? »
Nous les bi, nous sommes silencié·es dans le militantisme LGBTQ+ depuis les années 1970. Dans son ensemble, la cause LGBTQ+ avance, et on en bénéficie. Mais il reste énormément de travail nous concernant. Cette phrase a été prononcée la première fois dans les années 90 par la militante bisexuelle hawaïenne Lani Ka’ahumanu qui faisait déjà ce constat.
Que vous inspire cette couverture ?
Cette couverture, aux couleurs du drapeau bi, est incroyablement représentative de la bisexualité, une orientation sexuelle tout en nuances : il y a autant de formes de bisexualités que de personnes bisexuelles !